Ayant pris part à la 12e édition du NAPEC, l’ancien directeur central au ministère de l’Energie, expert international et membre de l’Association algérienne de l’industrie du gaz (AIG), Khaled Boukhelifa, revient, dans cet entretien accordée au Jeune Indépendant, sur les faits majeurs qui ont marqué cet évènement, notamment le lancement d’un appel à concurrence pour l’investissement dans les hydrocarbures.
Dans cet exercice de questions- réponses, Boukhelifa livre son éclairage sur le rôle que jouera l’hydrogène vert dans les années à venir, que ce soit sur le marché intra-muros ou extra-muros. En plus d’être une énergie à même de conquérir le marché européen notamment, l’hydrogène vert constitue, entres autres, une opportunité censée faire fonctionner l’industrie algérienne à l’orée de la transition énergétique et des options économiques fixées au plus haut sommet de l’Etat.
Le Jeune Indépendant : La 12e édition du Salon Africa & Mediterranean Energy & Hydrogen Exhibition and Conference (NAPEC) a été marquée par le lancement d’un appel à concurrence international pour l’investissement dans le domaine pétrolier et gazier. Comment qualifiez-vous cette étape pour l’Algérie, qui cherche à attirer les investissements ?
Khaled Boukhelifa : Le lancement de l’appel à concurrence ALNAFT, visant à attirer de nouveaux investissements dans le secteur des hydrocarbures, fait que l’Algérie revient sur la scène, et le retour se fait dans un nouveau cadre juridique plus attractif. Nous n’avons pas lancé d’appel d’offres depuis une dizaine d’années. Cet appel à concurrence s’inscrit dans le cadre d’un nouveau cadre, celui de la loi sur les hydrocarbures de 2019, qui a introduit un nouveau cadre législatif et réglementaire plus attractif pour les partenaires puisqu’il a introduit certaines modifications, notamment celle qui offre le choix au partenaire, lequel peut choisir entre trois types de contrat, en plus des incitations fiscales. ALNAFT, quant à elle, est dans son rôle. Elle a identifié six gisements et donné un planning de mise en œuvre.
Les partenaires sont davantage intéressés car ils ont un nouveau cadre législatif, plus attractif, dans la mesure où ils peuvent investir, en partenariat avec Sonatrach. C’est là une nouvelle étape pour l’investissement dans les hydrocarbures en Algérie.
Après la signature d’un mémorandum d’entente portant sur la réalisation conjointe des études nécessaires à l’évaluation de la viabilité et de la rentabilité d’un projet intégré, qui vise à produire de l’hydrogène vert en Algérie pour approvisionner le marché européen via le SoutH2 Corridor, peut-on dire qu’on entame une nouvelle étape du développement de l’hydrogène vert en Algérie ?
Nous voulons passer à un monde plus propre. Des pays ont fixé, dans ce cadre, les objectifs à atteindre. La majorité de ces pays ont fixé 2050, l’Inde et la Chine 2060, pour arriver à zéro émission de gaz à effet de serre. Le monde est donc en train de rechercher de nouvelles sources d’énergie. En plus de l’énergie solaire photovoltaïque et de l’énergie éolienne, il y a cette énergie qui est apparue depuis quelques années, à savoir l’hydrogène.
Pour le moment, son développement est au stade expérimental. Il y a des paramètres à prendre en considération mais aussi des études à faire. Il est donc naturel que Sonatrach, et l’Algérie en général, s’intéresse à cette nouvelle ressource qui va prendre de plus en plus d’ampleur. Il y a des perspectives prometteuses de marché, à moyen terme. C’est dans ce sens que le ministère de l’Energie a adopté une stratégie pour le développement de l’hydrogène vert.
Des projets pilotes se font actuellement. C’est l’hydrogène vert qui nous intéresse et intéresse aussi les Européens car il ne n’émet pas de CO2. Il est vert car on utilise l’électricité provenant de sources renouvelables, notamment du solaire. L’Algérie est bien lotie, d’autant que nous avons le meilleur ensoleillement dans le monde. Sa production nécessite aussi de l’eau et nous en avons suffisamment dans le sud du pays. Ce qui fait que nous avons deux éléments très importants.
Vous pensez à l’investissement?
Maintenant, il faut investir. Il faut un marché, surtout que nous visons à vendre. Et pour vendre, il faut avoir des partenaires. Ces derniers ont manifesté leur intérêt pour acheter l’hydrogène vert de l’Algérie, notamment l’Italie, l’Autriche et l’Allemagne. Ces partenaires doivent cependant se manifester un peu plus, en mettant la main à la poche. Il faut qu’ils contribuent à l’investissement car Sonatrach ne peut faire cet investissement toute seule.
Il y a aussi ce qu’on appelle les électrolyseurs (appareil dans lequel l’eau est décomposée en hydrogène et en oxygène), qui doivent être fabriqués en Algérie pour garantir l’entretien et la maintenance de cet équipement, sachant qu’il s’agit d’un grand appareil mais aussi dans le souci d’industrialiser le pays et ainsi générer des postes d’emploi. On ne peut pas tout importer ! Donc, l’investissement se situe au niveau des équipements mais aussi au niveau du pipeline. Il faut donc qu’il y ait des financements pour réaliser l’ouvrage destiné à transporter l’hydrogène vert algérien vers l’Europe via la Tunisie. Un mémorandum d’entente pour évaluer la viabilité et la rentabilité du projet « SoutH2 Corridor » a été signé, traduisant ainsi l’intérêt de ces pays pour ce projet. Mais cela ne veut pas dire contrats de réalisation.
C’est encore au niveau d’étude. Sonatrach a également signé avec la compagnie espagnole CEPSA pour la réalisation conjointe d’une étude de faisabilité pour le développement d’un projet intégré de production d’hydrogène vert en Algérie, et ce afin d’approvisionner principalement le marché européen. Il y a donc une manifestation d’intérêt de la part des partenaires, maintenant, il reste la mise en œuvre. Sonatrach, pour sa part, réalise des projets pilotes de production d’hydrogène vert à Arzew et à Hassi Messaoud.
L’hydrogène vert sera-t-il destiné exclusivement au marché extérieur ?
L’hydrogène, ce n’est pas pour l’exportation uniquement car, actuellement, des usines et raffineries utilisent de l’hydrogène bleu qui émet du CO2. Des projets pilotes vont nous permettre de dépendre de l’hydrogène vert au lieu du bleu. Les études et les expériences pilotes sont en cours. L’hydrogène vert sera aussi destiné au marché international, surtout européen. Les pays développés comme l’Allemagne ont, par exemple, fermé les centrales nucléaires. Ils ont fait des stations de gazéification mobiles pour recevoir du GNL qui vient de loin. Le pays est donc obligé de trouver une solution pour assurer la sécurité énergétique.
Je pense que l’Algérie travaille dans les deux sens. Assurer la sécurité énergétique de notre pays est primordial. Compte tenu d’une consommation locale exponentielle de l’énergie, nous sommes appelés à nous préparer à d’éventuelles difficultés d’approvisionnement, c’est pourquoi l’hydrogène vert se présente comme une opportunité. Il va nous permettre, à partir de 2035 ou 2040, de faire fonctionner notre industrie, au lieu d’utiliser le gaz naturel.
L’Algérie est-elle appelée, selon vous, à explorer un jour ou l’autre les énergies non conventionnelles ?
L’AIG a identifié les conditions pour la mise en œuvre du gaz de schiste. Les spécialistes ont, lors d’une rencontre organisée par l’AIG, tenue il y a quelques années, écarté la possibilité de pollution des nappes phréatiques notamment. La seule pollution qui peut avoir lieu, c’est en surface. L’eau retirée va être polluée, il faudra la traiter. Un problème de logistique a aussi été évoqué. Dans le conventionnel, on fait un forage pour 20 à 30 ans, et même plus. Contrairement au schiste où l’on est obligé de continuer à forer. On aura donc besoin de milliers d’appareils de forage car, dès que le premier forage est fait – celui-ci dure au maximum six mois –, il faut en réaliser un autre, ce qui nécessite une logistique énorme.
Du fait que la réglementation, que ce soit la loi sur les hydrocarbures de 2019 mais aussi celle de 2013, permet l’exploitation du gaz de schiste, et compte tenu de notre grand potentiel en la matière (troisième réserve dans le monde), nous pouvons exploiter cette ressource non conventionnelle. Si Sonatrach réussit à avoir des partenaires avec lesquels elle partagerait le risque et prendrait en charge la logistique et apporterait la technologie en plus de la formation du personnel, réunissant ainsi toutes les conditions, je ne vois pas pourquoi ne pas exploiter le gaz de schiste.
Il convient de signaler le coût élevé de la production des énergies renouvelables. La réalisation des centrales photovoltaïques coûte cher et nous dépendons de l’importation de plusieurs éléments, en plus du problème d’intermittence. Cela laisse dire que quelles que soient nos capacités de production en énergies renouvelables, nous aurons toujours besoin de centrales à gaz, désormais classé comme énergie propre, et nous dépendrons encore de cette source d’énergie durant des décennies. Le développement des énergies renouvelables doit certes se faire, mais en adoptant une formule déterminée, car il est essentiel de bien faire les choses.
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