Réclamée par l’Algérie depuis plusieurs années et exprimée par les plus hautes autorités du pays, la révision de l’accord d’association avec l’Union européenne, qui lie les deux parties depuis 2005, est désormais à l’ordre du jour. L’Algérie, qui a contesté le déséquilibre « flagrant » de l’accord, principalement dans son volet commercial, s’apprête à accueillir une délégation de la Commission européenne pour engager les premières négociations. Une nouvelle étape s’annonce donc dans les relations bilatérales, à la lumière de la nouvelle conjoncture économique de l’Algérie mais aussi en Europe.
La partie algérienne aura surtout à mettre en avant l’évolution de sa réglementation concernant les investissements et les opportunités d’affaires qui sont offertes aux entreprises européennes dans divers domaines. C’est sur cette question et d’autres qu’est revenu, dans cet entretien, le professeur en économie, Brahim Guendouzi, signalant le travail en profondeur qui attend les experts qui auront à se pencher sur le texte de l’accord.

Le Jeune Indépendant : L’heure de la révision de l’Accord d’association avec l’UE a sonné. Les premières négociations entre l’Algérie et la Commission européenne devraient commencer à la mi-novembre, avec l’arrivée annoncée d’une délégation européenne à Alger. Comment qualifiez-vous cette étape ?

Brahim Guendouzi : Il s’agira probablement d’un premier round pour des discussions préliminaires sur un état des lieux concernant l’accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne. Chaque partie aura à faire des propositions sur ce qu’il y a lieu de revoir de part et d’autre, mais aussi sur ce qu’il faut garder et consolider en tenant compte de l’expérience passée. Des évolutions majeures ont en effet marqué aussi bien l’économie algérienne que les économies des pays de l’Union européenne, particulièrement dans un contexte marqué par l’inflation. Il va sans dire que ce n’est pas la première fois que des échanges entre les deux parties ont lieu puisque, à maintes reprises, des responsables ont eu à se concerter sur plusieurs dossiers d’intérêt commun.

Faut-il s’attendre à une révision profonde de l’accord, surtout que l’Algérie plaide pour un accord équitable ?

Au vu de la complexité et de la richesse de l’ensemble des clauses de l’Accord d’association Algérie-Union européenne, entré en vigueur en 2005, et avec une mise en œuvre sur une vingtaine d’années, il ne faut pas s’attendre à un grand chamboulement du contenu de l’accord, même si le président de la République a émis le vœu d’une révision « clause par clause ». Il s’agira incontestablement de valoriser ce qui a le mieux fonctionné entre les partenaires algériens et européens, tout en ayant un regard novateur sur ce qu’il y a lieu d’entreprendre en commun dans plusieurs secteurs, et ce sur le moyen et long terme.

La conjoncture est-elle favorable pour la révision de cet accord d’association, compte tenu principalement de la position de l’Algérie qui est qualifiée de fournisseur sûr et fiable d’énergie, au moment où les pays européens veulent diversifier leurs fournisseurs ?

La conjoncture économique actuelle est favorable pour une révision de l’accord d’association entre les parties prenantes qui ont eu à connaître des évolutions majeures tant sur les plans économique, technologique et énergétique que social, et ce dans un contexte géopolitique perturbé. Aussi sera-t-il question d’inscrire la révision de l’accord dans une perspective de long terme, avec les défis auxquels auront à faire face les deux parties, notamment sur les plans des échanges commerciaux et de l’approfondissement de la coopération à d’autres domaines comme la transition énergétique et le changement climatique, les investissements directs étrangers, l’intelligence artificiel, la cybersécurité, etc.

Les dernières déclarations du nouvel ambassadeur de l’UE en Algérie, qualifiant le pays de partenaire privilégié, essentiel et fondamental de l’Europe, peuvent-elles laisser entendre une volonté du côté de l’UE de revoir cet accord ?

Il est clair que l’Algérie, du fait de son positionnement géopolitique et en tant que fournisseur d’énergie de premier plan, est un partenaire privilégié de l’Union européenne. Des préoccupations communes existent, telles que la sécurité en Méditerranée, la sécurité énergétique, le changement climatique, le développement durable, la circulation des personnes, etc. C’est autant de raisons qui font que le dialogue entre les deux parties nécessite qu’il soit placé au centre des préoccupations et soit mené en permanence, même si parfois des crises passagères assombrissent quelque peu l’état des relations commerciales, sans pour autant remettre en cause la volonté commune de poursuivre les efforts consentis dans le sens d’un partenariat équilibré.

Quelles sont les principales clauses appelées à être revues, sachant que certaines d’entre elles ne favorisent pas l’accès des produits algériens au marché européen ?

L’accord en lui-même comprend un large éventail de dispositions, soit 110 articles organisés en 9 titres, couvrant aussi bien le dialogue politique, la libre circulation des marchandises, la coopération dans divers domaines, etc. Il reste entendu que c’est aux deux parties d’identifier les clauses à revoir, à enrichir, à clarifier ou à abroger. Un travail en profondeur attend donc les experts qui auront à se pencher sur le texte pour lui donner la profondeur souhaitée par l’Algérie et la commission de Bruxelles, avec l’assentiment des pays membres.

D’ores et déjà, il y a les questions liées à la libre circulation des marchandises, le commerce des services, l’investissement, la circulation des travailleurs, la coopération et la concertation autour de nouveaux domaines, tels que la transition énergétique durable, le changement climatique, le développement technologique, etc. L’Algérie a fixé ses priorités dans la sécurité alimentaire et hydrique, la diversification de son tissu économique, la formation du capital humain, le transfert du savoir-faire et l’innovation, entre autres.

La partie algérienne aura à mettre en avant l’évolution de sa réglementation concernant les investissements et les opportunités d’affaires qui sont offertes aux entreprises européennes, non seulement dans le domaine énergétique mais aussi dans celui de l’industrie de transformation, l’agriculture et les services.

Quels sont les produits algériens qui peuvent éventuellement être placer sur ce marché, connu pour être très exigeant en matière de normes ?

Les marchés européens sont protégés par une batterie de normes techniques, de règles d’origine ou encore de mesures sanitaires et phytosanitaires. Il sera donc difficile pour les produits algériens d’y accéder car ne pouvant remplir les conditions édictées. Le dernier exemple est celui de la pâte à tartiner El Mordjane sur le marché français. Aussi, les biens manufacturiers (produits sidérurgiques, matériaux de construction, produits de la pétrochimie, etc.) et les produits agricoles d’origine algérienne doivent avoir un accès normalisé et régulier, conformément au principe de la libre circulation des marchandises.

Pour cela, les négociateurs des deux parties Algérie-Union européenne auront à trouver les outils et mécanismes commerciaux susceptibles de faciliter l’accès aux marchés européens, sans cela il ne saurait y avoir d’échanges équilibrés.

Les négociations vont certes se faire à haut niveau mais faut-il, selon vous, impliquer des spécialistes, en commerce international notamment, dans ces négociations ?

Généralement, ce sont des experts des différents secteurs concernés par les rounds de négociation qui y participent. Les dimensions relatives au commerce extérieur, à la coopération économique ainsi qu’à la mobilité des personnes prennent souvent le dessus par rapport à d’autres aspects qui sont déjà balisés. Si la volonté de faire progresser le processus de révision de l’Accord d’association existe pour la partie européenne, alors des possibilités et des solutions sauront être trouvées en vue de satisfaire les deux parties, en imprimant, dans ce cas, une vision rénovée et stratégique de la démarche et en l’inscrivant dans la durée.

 

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