Les enquêteurs de l'ONU, qui rassemblent depuis des années des éléments de preuves sur les atrocités commises en Syrie, espèrent que la chute de Bachar al-Assad leur permettra enfin d'accéder à cette vaste "scène de crime".

"Il y a un profond changement" car "les preuves en Syrie deviennent enfin disponibles", a déclaré Robert Petit, qui dirige depuis début 2024 ce groupe d'enquêteurs, dans un entretien à l'AFP après la chute de Bachar al-Assad ce week-end.

Basé à Genève, le Mécanisme international, impartial et indépendant (MIII), créé en décembre 2016 par l'Assemblée générale de l'ONU, est chargé d'aider à l'enquête et à la poursuite des personnes responsables des crimes les plus graves de droit international commis en Syrie depuis mars 2011.

"Il est d'ores et déjà évident qu'il existe des masses de preuves", a affirmé M. Petit, citant les vidéos de prisons syriennes qui se vident et montrant des "salles remplies de tonnes de documents".
Selon ce procureur et juriste canadien, "il va y avoir une quantité considérable d'informations disponibles".

Mais l'offensive insurgée dirigée par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) a ouvert une période d'incertitude en Syrie, après 14 ans d'une guerre civile qui a fait plus de 500.000 morts.

En huit ans, les 82 membres du MIII ont déjà accumulé d'énormes quantités de preuves sur les exactions commises pendant la guerre, représentant 283 téraoctets de données, selon M. Petit.

Pour ce groupe d'enquêteurs, que l'ONU qualifie de "facilitateur de la justice", il est temps "de commencer à s'attaquer à l'impunité généralisée" en Syrie : "bombardements d'hôpitaux, utilisation d'armes chimiques, torture systématique dans les prisons gérées par le gouvernement, violence sexuelle et fondée sur le genre généralisée, et même génocide".
"La gamme est complète : des massacres à l'utilisation d'armes chimiques, de l'esclavage au génocide", a déclaré M. Petit.

"Elle n'est limitée que par l'imagination des auteurs des actes et, malheureusement, cette imagination a semblé croître avec les moyens dont ils disposaient", a-t-il relevé.
Les preuves recueillies par le MIII ont déjà servi ces dernières années dans environ 230 enquêtes, menées dans 16 juridictions, notamment en Belgique, en France, en Suède et en Slovaquie.
Mais les enquêteurs onusiens n'avaient jamais été autorisés par Damas à se rendre en Syrie.
La chute de Bachar al-Assad pourrait changer les choses.

"C'est la scène de crime, donc si nous pouvons avoir accès à la scène de crime, cela change la donne pour nous", a déclaré M. Petit, ajoutant que le plus important à présent est de "préserver les preuves".

Selon lui, la société civile syrienne dispose déjà des connaissances et d'une bonne expérience de la façon dont il faut conserver les preuves et s'assurer qu'elles peuvent être utilisées dans le cadre de poursuites.

Et pour ceux qui ont moins d'expérience, le MIII a mis en place un "mode d'emploi" sur son site internet, qui explique certains points clés, comme la sécurisation des preuves, ainsi que l'importance qu'elles soient manipulées par le moins de personnes possible et d'établir une chaîne de possession claire.

Par ailleurs, a assuré M. Petit, le MIII est prêt à apporter son soutien à la justice syrienne, ainsi qu'à la Cour pénale internationale si des mesures sont prises pour qu'elle puisse s'occuper du dossier car jusqu'à présent, la Syrie n'a pas ratifié le traité établissant la CPI.

Dans les deux cas, les enquêteurs onusiens se tiennent prêts, a déclaré M. Petit, insistant sur le fait que la quête de justice doit être un élément central de l'avenir syrien.
Faute de quoi, a-t-il averti, "on ne construit rien de solide".