Fin effective du monopole du fameux CMI (Centre monétique interbancaire) sur le marché marocain des solutions de paiement. Quelques mois après la décision du Conseil de la concurrence, de nouveaux concurrents se bousculent au portillon.

Une fois n’est pas coutume, ce sont des capitaux publics qui profitent de la fin d’une situation de monopole. Quelques mois après la décision du Conseil de la concurrence actant la fin du monopole du CMI (Centre monétique interbancaire) sur le marché marocain des solutions de paiement, la banque publique, Al Barid Bank, vient de lancer discrètement pour le moment une solution concurrente auprès des commerces. Une arrivée qui augure du début d’une nouvelle ère dans le domaine de la monétique au Maroc. Pour rappel et en date du 16 mai 2023, la société NAPS SA a saisi le Conseil de la concurrence concernant l’existence d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par la société Centre monétique interbancaire SA, dans le secteur des activités de paiement par Terminal de paiement électronique, «TPE» et de paiement en ligne via carte bancaire. Après examen des éléments de recevabilité prévus par l’article 26 de la loi 104-12 relative à la liberté des prix de la concurrence, le Conseil de la concurrence a déclaré par sa décision en date du 22/06/2023 que ladite saisine est recevable. Après analyse de la structure du marché du paiement électronique, sa dynamique concurrentielle depuis la création du CMI, ainsi que les comportements des différents acteurs du marché, un rapport d’évaluation préliminaire a été établi par les services d’instruction du Conseil et a été notifié aux parties, ainsi qu’au commissaire du gouvernement.
«Après discussions avec les parties en cause, ces dernières ont exprimé leur souhait de bénéficier de la procédure d’engagements précitée et ont soumis à ce titre au Conseil de la concurrence en date du 20 septembre 2024 une proposition d’engagements visant à améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché du paiement électronique par carte. La mise en œuvre des engagements proposés aura pour effet direct le démantèlement du quasi-monopole que connaît actuellement le marché de l’acquisition par carte dominé par le CMI, qui accapare une part de marché de plus de 97%», avait annoncé le Conseil de la concurrence expliquant que, toutefois, le CMI continuera à opérer en tant que plateforme technique qui fournit ses services à tous les établissements de paiement (EDP) de la place dans des conditions tarifaires et non tarifaires équitables, transparentes et non discriminatoires. Il continuera également à assurer le service de paiement de factures via sa plateforme Fatourati. «Ce démantèlement permettra d’animer la concurrence sur le marché à travers la reprise de l’activité acquisition par les banques à travers leurs établissements de paiement, ou toutes autres filières dédiées, ce qui démultipliera le nombre d’acteurs sur ce marché et créera un effet d’émulation au bénéfice de l’économie nationale et du bien-être des consommateurs», avait expliqué la même source.

Nouveau filon
Concrètement, le CMI qui sera transformé en plateforme technique de traitement pour le compte de tous les établissements de paiement de la place s’engage à garantir un accès à ses services dans des conditions tarifaires et non tarifaires équitables, transparentes et non discriminatoires.
S’agissant des engagements comportementaux non tarifaires, le CMI et les banques actionnaires de ce dernier s’étaient engagés à mettre en place un programme de conformité avec le droit de la concurrence et cesser immédiatement les pratiques objet des préoccupations de concurrence précitées. Pour sa part, Bank Al-Maghrib (BAM) avait décidé en septembre 2024 de plafonner le niveau des frais d’interchange à 0,65% de la valeur de la transaction pour les opérations de paiement monétique domestique par le biais de cartes émises au Maroc. Cette décision réglementaire encadre les frais d’interchange monétique domestique qui correspondent à la quote-part perçue par les banques et les établissements de paiement sur la commission prélevée aux commerçants au titre des paiements par carte. BAM avait précisé que les commissions sur paiement par carte ne peuvent être refacturées par les commerçants aux consommateurs et de ce fait n’affectent pas le prix des biens ou services concernés par ces transactions.
Selon la même source, cette décision intervenait dans le cadre des prérogatives de Bank Al-Maghrib en matière de veille à la sécurité des systèmes et des moyens de paiement.
Pour la Banque centrale, la décision réglementaire contribue à la protection de la clientèle des établissements de crédit et organismes assimilés et appuie les efforts de Bank Al-Maghrib pour le développement du marché des paiements électroniques. Ainsi, les premiers acteurs et opérateurs dans le domaine financier sont en train de profiter de la fin de cette situation de quasi-monopole. C’est donc un nouveau filon qui immerge pour beaucoup. Une opportunité qui n’a pas pu échapper aux responsables d’Al Barid Bank. Une entrée sur le marché des solutions monétiques qui va certainement redistribuer les cartes. Et pour cause. Etant elle-même une filiale de Poste Maroc, Al Barid Bank peut s’appuyer sur l’un des réseaux les plus denses avec une couverture quasi intégrale du territoire national même dans les endroits les plus reculés. Ceci représente sans nul doute un point fort déterminant dans la bataille pour le marché du TPE qui ne fait que commencer.
D’autres opérateurs vont sans nul doute se lancer dans cette course. C’est d’autant plus vrai que le secteur représente encore un potentiel important à exploiter puisque les paiements par carte bancaire affichent des indicateurs de croissance importants et une dynamique avérée, sans oublier les changements dans les habitudes des consommateurs qui ne se limitent plus aux grandes villes du pays et les centres urbains. C’est donc un grand gisement qui attend toujours d’être exploité. Dossier à suivre.

GEnèse
Finance :Le CMI a été créé en 2001 par neuf banques ayant pour mission initiale l’interconnexion de l’ensemble des banques en vue d’assurer l’interopérabilité des retraits et des paiements et la lutte contre la fraude. Le CMI a été depuis 2004 jusqu’à 2015 le seul opérateur actif dans l’acquisition et le switching (l’activité de switching consiste à assurer le routage et le traitement des demandes d’autorisation, la compensation des transactions monétiques et le règlement des émetteurs et acquéreurs. Le switch monétique doit garantir l’interopérabilité des transactions et la gestion de la sécurité). A partir de 2015, Bank Al-Maghrib a ouvert le marché à la concurrence en séparant l’activité switching de celle de l’acquisition. Cependant, malgré cette ouverture du marché de l’acquisition à la concurrence, le CMI dispose toujours d’une position quasi monopolistique sur ce marché et le taux d’interchange est resté à un niveau relativement élevé sans connaître de baisse. Cette situation a impacté négativement les marges des acquéreurs et a empêché, entre autres, le développement de ce marché, ainsi que celui des paiements électroniques en général puisqu’il ne représente que 1% des paiements au Maroc, ce qui va à l’encontre des stratégies nationales de digitalisation et d’inclusion financière. Il faut préciser que le CMI et les banques actionnaires de ce dernier se sont engagés à transmettre au Conseil de la concurrence à partir de la date de la décision du Conseil rendant obligatoires les engagements, et pour une durée de deux (2) années, un état semestriel documenté détaillant l’exécution des différents engagements structurels et comportementaux souscrits.