Devant les deux Chambres du Parlement, Zineb El Adaoui, Premier Président de la Cour des Comptes, a mis en lumière les forces et les faiblesses de la Stratégie Énergétique Nationale (SEN) 2009-2030, tout en appelant à une vision intégrée pour une gestion plus efficace du secteur énergétique marocain.

Mme El Adaoui a commencé par souligner les progrès importants accomplis dans le cadre de la SEN. Depuis son lancement en 2009, cette stratégie a permis de positionner le Maroc parmi les leaders de la transition énergétique, tant sur le continent africain qu’au niveau du monde arabe. En termes de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, le Royaume occupe aujourd’hui la quatrième place en Afrique et la troisième dans le monde arabe. Cette performance reflète des choix stratégiques axés sur le développement des énergies solaires, éoliennes et hydrauliques, des secteurs clés pour réduire la dépendance aux énergies fossiles.

Entre 2009 et août 2024, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique marocain est passée de 32 % à 44,3 %, démontrant une progression constante. Cependant, pour atteindre l’objectif ambitieux de 52 % fixé pour 2030, Mme El Adaoui a insisté sur la nécessité d’accélérer le rythme de mise en œuvre des projets en cours. Certains projets portés par le secteur privé, bien qu’identifiés, n’ont pas encore obtenu les autorisations nécessaires en raison de contraintes liées à la capacité du réseau de transport électrique.

Des insuffisances persistantes dans la gouvernance énergétique

Bien que des avancées notables aient été réalisées, plusieurs aspects de la SEN demeurent perfectibles. L’une des critiques principales formulées par Mme El Adaoui concerne la gouvernance du secteur énergétique. Elle a relevé que les objectifs spécifiques définis dans la stratégie ne sont pas atteints de manière uniforme à travers ses différentes composantes. Cette situation résulte en partie d’une planification fragmentée, qui s’est principalement concentrée sur le secteur de l’électricité tout en négligeant d’autres dimensions essentielles telles que la sécurité d’approvisionnement et la diversification des sources d’énergie.

La contractualisation entre l’État et les établissements publics dans le domaine de l’énergie constitue un autre point faible. Depuis 2008, seuls deux contrats-programmes ont été signés avec l’Office National de l’Électricité et de l’Eau Potable (ONEE), couvrant les périodes 2008-2011 et 2014-2017. Ces chiffres traduisent un recours limité à cet outil, qui pourrait pourtant favoriser une meilleure coordination entre les acteurs publics et privés.

Mme El Adaoui a insisté sur l’importance de l’efficacité énergétique, désignée comme une priorité nationale dans la SEN. Cependant, ce secteur n’a pas bénéficié d’une stratégie spécifique ni des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. Par conséquent, le taux d’économie d’énergie reste limité à 5,8 %, loin de l’objectif de 20 % prévu pour 2030. Ce retard s’explique par plusieurs facteurs : des moyens financiers insuffisants, des retards dans la publication des textes d’application de la loi n° 47.09 relative à l’efficacité énergétique, ainsi qu’un manque de dispositifs incitatifs pour encourager les entreprises à adopter des pratiques plus économes en énergie.

La mise en œuvre limitée des mesures d’efficacité énergétique freine également les efforts visant à réduire l’intensité énergétique dans des secteurs clés tels que l’industrie et le bâtiment. Mme El Adaoui a ainsi plaidé pour l’élaboration et l’adoption d’une stratégie nationale d’efficacité énergétique, accompagnée d’un cadre incitatif et de mécanismes adaptés pour stimuler l’adhésion des secteurs énergivores.

Des défis dans le secteur des hydrocarbures et du gaz naturel

Le secteur des hydrocarbures constitue un autre domaine nécessitant des améliorations significatives. Mme El Adaoui a signalé que les stocks de réserve de produits pétroliers, essentiels pour garantir la sécurité d’approvisionnement, restent en deçà du seuil requis de 60 jours. En 2023, ces stocks étaient limités à 32 jours pour le gasoil, 37 jours pour l’essence et 31 jours pour le gaz butane. Cette situation expose le Maroc aux fluctuations des prix sur les marchés internationaux et à des risques liés à des perturbations d’approvisionnement.

En matière de diversification des points d’importation, seuls des progrès limités ont été enregistrés depuis 2009. Le port de Tanger Med reste le seul nouveau point d’entrée opérationnel pour les produits pétroliers, ce qui réduit la flexibilité du système logistique.

Le développement du gaz naturel, considéré comme une alternative clé pour réduire la dépendance au charbon, n’a pas progressé comme prévu. Depuis 2011, plusieurs initiatives visant à promouvoir ce secteur sont restées inachevées, compromettant ainsi les objectifs de diversification énergétique. Mme El Adaoui a recommandé d’élaborer une stratégie officielle et de mettre en place un cadre juridique pour attirer les investisseurs et établir un marché gazier compétitif.

Pour répondre aux défis identifiés, Mme El Adaoui a préconisé l’adoption d’une approche globale et intégrée. Cela passe par une planification énergétique qui ne se limite pas à l’électricité, mais englobe également la sécurité d’approvisionnement, la diversification des sources d’énergie et l’efficacité énergétique. Elle a également souligné l’importance de renforcer les mécanismes de gestion des stocks de réserve pour les hydrocarbures et d’encourager les investissements dans le gaz naturel.

La mise en place d’un cadre incitatif adapté pourrait également jouer un rôle clé en stimulant l’adoption de mesures d’efficacité énergétique, en particulier dans les secteurs les plus énergivores. Par ailleurs, une meilleure coordination entre les acteurs publics et privés, soutenue par des contrats-programmes clairs et ambitieux, pourrait favoriser une mise en œuvre plus efficace des projets stratégiques.

Le Maroc a réalisé des avancées significatives dans sa transition énergétique, mais les lacunes identifiées par la Cour des Comptes montrent qu’un effort supplémentaire est nécessaire pour atteindre les objectifs de la SEN à l’horizon 2030. Une gouvernance renforcée, une planification globale et des mesures concrètes pour promouvoir l’efficacité énergétique et la diversification des ressources énergétiques sont indispensables.

LNT

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