par SAFAA ELAABBASSI
Psychologue clinicienne, Psychothérapeute 
Spécialisée en psychopathologie et psychologie clinique de travail
Professeur Vacataire de Psychologie

La prise de décision irréprochable est cruciale pour le succès des grandes organisations, confrontées à des marchés mondialisés et en constante évolution. Le processus décisionnel repose sur deux systèmes majeurs de pensée  : le Système 1, intuitif et rapide, permettant des jugements impulsifs, et le Système 2, analytique et réfléchi, nécessitant plus de temps pour évaluer les options de manière consciente et logique dans le processus du traitement de l’information.

Ces systèmes interagissent dans le cerveau humain pour équilibrer les jugements rapides et les analyses approfondies, permettant aux décideurs de naviguer efficacement dans des situations complexes où ils devront prendre des décisions difficiles et importantes, et souvent dans un intervalle de temps restreint et pressant.

Les managers et décideurs ont un défi intellectuel lié à ce qu’on appelle les biais cognitifs. Ces derniers sont des erreurs dans notre façon de percevoir et d’interpréter l’information, rendant souvent nos décisions irrationnelles. Une étude récente (Le Pargneux et al., 2024) montre que les managers basent souvent leurs décisions sur des accords hypothétiques, c’est-à-dire sur ce qui serait convenu lors de négociations explicites. Cela signifie qu’ils imaginent des scénarios où tous les partis impliqués auraient discuté et convenu de certaines actions, influençant ainsi leur jugement moral et décisionnel. Un autre travail de recherche montre que les investisseurs de détail sont fortement influencés par des erreurs de jugement, comme la tendance à chercher des informations qui confirment leurs croyances, à se rappeler des événements passés de manière biaisée, et à suivre les décisions des autres sans réflexion critique. Ces erreurs les poussent à interpréter de manière erronée les données de marché, ce qui les amène à prendre des décisions d’investissement moins optimales. Cette étude met en évidence l’importance de reconnaître et de corriger ces biais pour améliorer la prise de décision (Sharma, 2024).

En plus de ces études, plusieurs travaux récents clarifient que la subjectivité, ainsi que l’excès de confiance des décideurs, pourraient souvent conduire vers des prises de décision incorrectes.

Pour ce faire, et après avoir compris les principaux facteurs résultant des stratégies inadaptées, il est indispensable de souligner un processus adapté de création de stratégies efficaces, débutant par ce que l’on appelle la restructuration cognitive. Cette dernière se fait à travers l’autoréflexion, qui est une étape essentielle pour les managers souhaitant améliorer la qualité de leurs décisions. Elle commence par l’identification des pensées irrationnelles ou négatives qui peuvent biaiser le jugement. Ces pensées, souvent automatiques, peuvent inclure des croyances infondées telles que « Je dois toujours avoir raison » ou « Les erreurs sont inacceptables », etc.

Il est important donc de comprendre que la grande majorité de ces pensées automatiques sont en réalité des croyances qui semblent être des vérités indiscutables. En outre, ce qui les rend si puissantes, est qu’elles sont souvent fondées sur des émotions, lesquelles nous influencent fortement et nous poussent à prendre des décisions. L’émotion majeure qui influence la prise de décision est la peur : peur de l’erreur, peur du jugement des autres, ou peur de l’échec. Cette émotion renforce nos croyances et les rendent encore plus puissantes.

Il est donc crucial de prêter une attention particulière à nos émotions, de les gérer, ainsi que de les comprendre plutôt que de tenter de les ignorer ou de les bloquer. La restructuration cognitive aide également à diminuer l’impact des biais cognitifs. Par exemple, le biais de confirmation, où l’on tend à privilégier les informations qui confirment nos croyances préexistantes, peut être atténué en encourageant une évaluation objective et critique de toutes les données disponibles. Cela permet de prendre des décisions basées sur une compréhension complète et nuancée des faits, plutôt que sur des perceptions biaisées, influencées par l’ego.

La reconnaissance des émotions joue également un rôle crucial dans la prise de décision, impactant significativement l’efficacité du leadership et le succès organisationnel. L’intelligence émotionnelle qui est la capacité à comprendre et à gérer ses propres émotions est un élément clé dans la prise de décision managériale. Les recherches indiquent que comprendre et exploiter les réponses émotionnelles peut améliorer les processus décisionnels et leurs résultats.

De plus, Sharma et al. (2023) ont souligné que l’intelligence émotionnelle des dirigeants, qui englobe la reconnaissance et la gestion des émotions, améliore la prise de décision sous stress. Les dirigeants ayant une intelligence émotionnelle élevée sont meilleurs pour motiver et engager leurs équipes, ce qui est directement corrélé à une performance améliorée et à une prise de décision réfléchie et plus objective.

Crédit de l’image: An fMRI Study of Emotional Engagement in Decision-Making. 2024, Université de Gérone, Espagne.

 

L’image ci-dessus, issue de recherches récentes portant sur l’engagement des émotions dans la prise de décision, représente l’activation cérébrale lors de la prise de décisions émotionnelles. Les différentes régions du cerveau mises en évidence sont impliquées dans le traitement des émotions et la prise de décision. Les zones colorées indiquent une activation significative des régions impliquées dans le traitement émotionnel, telles que le cortex préfrontal dorsolatéral (DLPC), le gyrus angulaire, et les cortex cingulaires antérieur et postérieur, lorsque les sujets prennent des décisions liées à des dilemmes émotionnels. Ces activations montrent l’importance des émotions dans les processus décisionnels. Ce qui prouve bien évidemment l’implication des émotions dans le processus décisionnel.

Pour prendre des décisions plus équilibrées et plus correctes, il est crucial tout d’abord de comprendre le processus décisionnel de notre cerveau, en reconnaissant que les émotions jouent un rôle déterminant même dans les décisions les plus rationnelles.  Cependant, il ne faut pas nier leur présence mais plutôt les intégrer de manière constructive. Ensuite, il est important de soigner ses pensées automatiques et ses croyances, en évitant de les valider automatiquement sans une analyse critique et rationnelle. Il est aussi important d’éviter de tomber dans le piège de catégoriser les pensées en « positives » ou « négatives ». Au lieu de cela, il faut adopter une perspective axée sur la rationalité et la logique, en évaluant si les pensées sont convenables ou non dans le contexte donné. Cela permet d’éviter l’excès de confiance induit par des pensées excessivement positives ou une attitude de découragement et de peur face à des pensées négatives. En somme, il s’agit d’atteindre un équilibre où les émotions et la rationalité travaillent de concert pour une prise de décision plus judicieuse et efficace.

Soyez donc conscient des pièges de l’excès de confiance et de la peur. Maintenez plutôt une attitude équilibrée et réaliste face aux défis et opportunités. Remettez en question vos pensées automatiques et croyances. Ne les acceptez pas comme des vérités absolues sans un examen critique. Accordez-vous quotidiennement un moment de détente avant de dormir pour éviter le stress chronique, et d’avoir un équilibre entre votre vie personnelle et professionnelle. Restez ouverts à la communication avec votre équipe afin de tirer parti de l’expertise de chacun. Priorisez votre bien-être et votre santé grâce à des activités comme le sport ou la méditation, et adoptez une alimentation saine autant que possible. Ces pratiques vous permettront d’être toujours prêts à aborder les décisions les plus difficiles avec clarté et sérénité.

The post Les défis des managers pour des décisions réellement objectives appeared first on La Nouvelle Tribune.