Par El Mostapha BAHRI, Consultant Economiste

Selon  le journal électronique Hespress, « la décision de permettre aux exportateurs marocains de réexporter certains produits, tels que les oignons et les pommes de terre, vers le marché africain, a ouvert la porte à des spéculations concernant ses répercussions sur le marché national, notamment en ce qui concerne les prix et leur augmentation[1] ».

Suite à cette décision qui n’a manqué de susciter des craintes, notamment chez les consommateurs, certains questionnements méritent d’être posées :

Tout le monde s’accorde sur le fait que l’exportation de produits agricoles vers les pays du Sahel représente une opportunité économique significative pour notre pays. Cependant, ce type de commerce présente également des défis et nécessite des régulations adaptées pour maximiser les bénéfices et minimiser les inconvénients, pour toutes les parties prenantes, à savoir les producteurs, les exportateurs et les consommateurs et partant pour l’économie nationale.

Le secteur agricole au Maroc joue un rôle vital dans l’économie nationale, représentant une part importante du PIB et offrant des milliers d’emplois. La production de fruits et légumes occupe une place prépondérante, tant pour la consommation locale que pour les exportations vers des marchés internationaux, dont les pays du Sahel.

Pour diversifier les marchés extérieurs, les pays du Sahel ont offert au Maroc depuis des années, de nouveaux débouchés pour certains produits agricoles marocains. Par conséquent, par cette ouverture, ces pays ont réduit relativement la dépendance vis-à-vis des marchés traditionnels européens et nord-américains, pour certains produits.

Ces marchés subsahariens connaitront sans nul doute une augmentation de la demande en produits agricoles, due à une croissance démographique rapide, en créant un potentiel de marché important. Les échanges avec ces pays vont permettre le renforcement des relations économiques et diplomatiques avec le Maroc et seraient de nature à favoriser la coopération régionale et à renforcer davantage les liens diplomatiques et politiques.

Par ailleurs, toute augmentation des exportations agricoles peut stimuler la croissance économique du Maroc en générant des revenus supplémentaires pour les agriculteurs et les entreprises exportatrices et partant la création d’emplois dans les secteurs de la production, de la transformation et de la logistique.

D’ailleurs, les produits agricoles marocains, réputés pour leur qualité, peuvent s’imposer sur les marchés du Sahel, ce qui est de nature à entrainer l’augmentation et la reconnaissance internationale des produits marocains.

Néanmoins, ces exportations risquent d’engendrer des inconvénients, en raison des conditions difficiles que connait notre pays ces dernières années. Ces conditions sont dues à la faiblesse de la pluviométrie et à l’état des réserves d’eau au niveau des barrages et de l’état alarmant des nappes phréatiques. Cette situation pourrait impacter négativement les quantités produites et mises sur le marché.

De même, d’autres conséquences peuvent être engendrées tels les risques de tensions qui pourraient surgir au sein de notre pays, dues à la cherté des fruits et légumes au niveau du marché national. D’ailleurs, la flambée des prix des fruits pendant cette saison (depuis juin 2024), a privé certaines catégories de familles marocaines à ne pas consommer des fruits (les prix restent élevés comparativement à la même saison de l’année dernière). Par ailleurs, il est constaté la réduction du nombre de marchands ambulants vendeurs et la maigreur des étalages des marchands de fruits dans les marchés des quartiers populaires. Heureusement cette flambée des prix n’a pas encore concerné, pour le moment les légumes (pommes de terres, oignons, tomates, etc.) qui constituent l’essentiel des achats quotidiens des familles marocaines.

A souligner dans ce cadre, que « les prix des fruits connaissent une augmentation marquée cet été. Les pastèques, autrefois accessibles à 3,5 DH/kg, se vendent maintenant à 7 DH/kg. Le melon, un autre fruit très apprécié en période de chaleur, a vu son prix passer de 4-5 DH/kg à 7 DH/kg (voire 12 Dhs dans cette certaines zones). Les figues vertes, quant à elles, atteignent 25 DH/kg, contre 10-15 DH auparavant (et ont atteint 40 Dhs dans certaines régions). La situation est encore plus alarmante pour les cerises, dont le prix a doublé, passant de 30-35 DH/kg à 70 DH/kg. Les pêches et les raisins suivent la même tendance, avec des prix passant de 10-13 DH/kg à 25 DH/kg. En ce qui concerne les figues de barbarie, la situation est exceptionnelle. Elles sont désormais vendues à 7 DH l’unité dans certaines villes, un prix record qui reflète la rareté de ce produit sur le marché[2] ».

Cette hausse généralisée des prix rend difficile l’accès aux fruits, empêchant les foyers marocains d’y avoir accès. Ces derniers ont été obligés à revoir leur budget alimentaire pour continuer à consommer les produits essentiels à leur alimentation.

Face à cette situation, certains producteurs ‘’malhonnêtes’’ peuvent être tentés par l’intensification de la production agricole et ce, par le recours à l’utilisation de certains produits chimiques, pour répondre à la demande du marché local et celui d’exportation, ce qui peut entraîner une surexploitation des ressources naturelles, notamment l’eau et les sols.

Que faire pour gérer cette situation de flambée des prix des fruits, pour éviter sa généralisation aux légumes ?

C’est au gouvernement de garantir la situation stable d’approvisionnement du marché, qui préserve et les intérêts des exportateurs et des producteurs et ceux des consommateurs. D’ailleurs, ces derniers représentent le maillon le plus faible de la chaine.

Le Gouvernement doit mettre en place un système de régulation, à partir d’un indicateur ‘‘prix’’ pour chaque type de légumes, voire pour certains fruits, notamment les plus consommés par les citoyens, au-dessus duquel, l’administration de l’agriculture, intervienne pour freiner ou interdire les exportations pendant une durée, le temps que les prix reviennent à leur situation normale.

Néanmoins, il arrive que les producteurs réalisent une production importante, qui entraine une baisse des prix au niveau de la production, malgré les exportations. Dans ce cas, l’administration doit mettre en place des programmes de soutien aux agriculteurs seulement, pour réduire l’éventuel risque de perte aux producteurs.

Ainsi, un fonds spécial de régulation du marché des fruits et légumes pourrait jouer ce rôle de régulation, à condition que tous les intervenants (administration, producteurs, exportateurs et consommateurs), réunissent leurs efforts pour confectionner un bon système, qui ne profitent pas seulement à une catégorie d’intervenants.

Ce système de régulation, s’il est stricte et bien conçu, permettra une utilisation durable des ressources naturelles, notamment en matière de gestion de l’eau et de conservation des sols. Il encouragera davantage les pratiques agricoles durables et respectueuses de l’environnement, en renforçant les mécanismes mis en place dans le cadre de Maroc Vert, concernant les incitations financières et techniques aux agriculteurs.

Enfin, tout le monde s’accorde sur le fait que l’exportation des produits agricoles marocains vers les pays du Sahel présente des opportunités économiques et diplomatiques significatives. Cependant, pour maximiser les bénéfices et minimiser les inconvénients, il est essentiel de mettre en place des régulations appropriées et de développer des infrastructures adaptées. Une approche collaborative et durable permettra de renforcer les relations entre le Maroc et les pays du Sahel tout en soutenant le développement économique et social des deux régions.

 

[1] Hespress, du vendredi 12 juillet 2024.

[2] https://www.lebrief.ma/, du 9/07/2024

The post Approvisionnement du marché local en fruits et légumes ou exportation vers les pays du sud du Maroc : un vrai dilemme pour les responsables marocains appeared first on La Nouvelle Tribune.