A deux mois de l’élection présidentielle, le président Kais Saied décide de révoquer le chef du gouvernement Ahmed Hachani et de le remplacer au pied levé par Kamel Maddouri fraichement nommé aux affaires sociales.
C’est par un communiqué laconique publié dans la page de la présidence de la République, dans la soirée de mercredi 7 août, que l’on apprend que le chef de l’Etat a reçu Kamel Maddouri qu’il a chargé de la présidence du gouvernement en remplacement de Ahmed Hachani.
Maddouri devient ainsi le cinquième locataire à la Kasbah nommé par Saied. Contrairement à son prédécesseur, il se prévaut d’un CV bien garni et a occupé plusieurs postes avant d’être nommé, le 26 mai dernier à la tête du ministère des affaires sociales.
Né le 25 janvier 1974 à Teboursouk, il est titulaire d’un doctorat en droit communautaire et relations Maghreb-Europe et d’une maîtrise en sciences juridiques de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis 2.
Il est diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) et en 2015 de l’Institut de défense nationale. Il est également négociateur international.
Sa nomination intervient à 60 jours seulement de la fin du mandat de l’actuel président, candidat à sa propre succession, et à l’orée du scrutin présidentiel prévu pour le 6 octobre prochain.
Bien avant lui, quatre autres locataires de la Kasbah nommés par Saied ont été débarqués, parfois sans ménagement. Le premier fut Elyes Fakhfakh chargé, le 20 janvier 2020, de former un gouvernement conformément à l’article 89 de la Constitution de janvier 2014, après l’échec de Habib Jomli proposé par Ennahdha, à faire passer son équipe devant l’Assemblée des représentants du peuple. Son passage à dar El Bey fut très bref et le 15 juillet 2020 il présente sa démission, à la demande du président de la République (ce qui permet à ce dernier de choisir son successeur) après le dépôt d'une motion de censure par 105 députés, initiée par le mouvement Ennahdha et Qalb Tounes.
Saied fait alors appel, le 25 juillet 2020, en pleine crise politique, au ministre de l’intérieur Hichem Méchichi qui avait, auparavant occupé le poste de conseiller à la présidence de la République. Sa désignation fut une surprise pour tout le monde puisque aucune formation politique ne l’a proposé à ce poste. Quand bien même il avait réussi à obtenir la confiance des députés, notamment ceux d’Ennahdha et Qalb Tounes, il a vite fait de se retourner contre son mentor en limogeant « les ministres du palais », dont notamment celui de l’intérieur Tawfik charfeddine et celle des domaines de l’Etat, l’actuelle titulaire de la justice Leila Jaffel. Chose que Saied ne lui a jamais pardonné.
Le 25 juillet, invoquant l'article 80 de la Constitution, le chef de l’Etat limoge Mechichi avec effet immédiat.
Il a fallu attendre le 11 octobre 2021 pour que le président nomme, Najla Bouden Romdhane, une universitaire, titulaire d'un doctorat en géologie après avoir soutenu sa thèse au sein de l'École nationale supérieure des mines de Paris en 1987. La nomination d’une femme à la tête du gouvernement fut bien accueillie s’agissant d’une première, non seulement en Tunisie, mais également dans les pays arabes. Le 1er août 2022, elle fut limogée sans explications et remplacée par Ahmed Hachani, un illustre inconnu des sphères politiques et des médias. Encore une surprise du chef !
Hachani qui qualifiait Saied de « personne sans égale » et l’appelait « azizi Kais », ( mon cher Kais), a été débarqué, dans la nuit du 7 au 8 août, au moment où il diffusait des vidéos sur le bilan de son équipe dans la page de la présidence du gouvernement. Il n'a pas survécu à la crise récurrente des coupures d'eau et d'électricité dans de nombreuses régions du pays. Alors que le président l’impute à des « actes de sabotage » et y voit plutôt, « un complot politique à l’approche de la présidentielle », Hachani met en avant la sécheresse pour justifier ces pénuries. Même le ministère de l'agriculture affirme que le niveau des barrages est extrêmement critique et qu'il a atteint 25 %.
Toutefois, la nomination de Kamel Maddouri, et contrairement à son prédécesseur, a été accueillie avec une certaine satisfaction. Personne non encartée, et dotée d’une solide expérience en matière de sécurité sociale, il avait été président-directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et, auparavant, président-directeur général de la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS). Certes, sa nomination intervient dans un climat politique tendu, marqué par des critiques récurrentes concernant les coupures d'eau et d'électricité et le manque de produits de base, mais il sait, certainement, qu’il sera comptable devant le président de sa capacité à surmonter les nombreuses difficultés rencontrées, notamment d’ordre social et économique, rencontrées au cours de cette dernière période.
Sur le plan politique, c’est le chef de l’Etat qui est le seul « maitre des horloges », en vertu de la Constitution de juillet 2022. Aucun de ses chefs du gouvernement ne s’est hasardé à s’aventurer dans ce terrain miné. Avec ce scrutin présidentiel qui pointe à l’horizon, il sera certainement sur ses gardes pour éviter dans s’aventurer dans ce que l’ancien président français Jacques Chirac appelait « une jungle ».