Les manifestations du 11 décembre 1960 ont marqué un point de bascule dans la guerre de libération nationale, révélant au monde entier l’aspiration profonde du peuple à la liberté et à la souveraineté.

En pleine tension politique, marquée par les discours du général de Gaulle et la résistance acharnée des partisans de « l’Algérie française », ce soulèvement populaire a démontré la détermination des Algériens à revendiquer leur indépendance pleine et entière. Dans cet entretien, l’historien Fouad Soufi aborde les causes et le déroulement de ces événements, depuis leur déclenchement à Aïn Témouchent et à Oran jusqu’à leur propagation dans tout le pays. Il analyse le rôle des quartiers populaires d’Alger dans la structuration des mobilisations, la réponse répressive des autorités françaises et l’impact de ces événements sur l’opinion publique internationale.

 

 

Le jeune indépendant : Quels ont été les facteurs déclencheurs des manifestations du 11 décembre 1960, et comment ces événements se sont-ils déroulés à Aïn Témouchent et à Oran avant de se propager à d’autres villes d’Algérie ?

 

Fouad Soufi : Les faits sont connus, mais peut-être pas toujours rappelés, faute d’avoir été pleinement compris ou acceptés. Il est essentiel de ne pas oublier le contexte. Ce dernier englobe à la fois les discours successifs du général de Gaulle sur l’avenir de l’Algérie, les réactions violentes des Européens menés par des groupuscules d’extrême droite, et, en parallèle, les réponses des Algériens à ces événements.

Lors de la visite de De Gaulle, présentée comme une sorte de « seconde tournée des popotes », des organisations d’extrême droite, notamment le Front Algérie Française (FAF), ont appelé à une grève générale le 9 décembre. Ce jour-là, le président français atterrit à l’aéroport militaire de Tlemcen-Zenata et se rend à Aïn Témouchent.

Cependant, l’accueil préparé par le responsable de la SAS ne se déroule pas comme prévu. Encadrés par les cellules du FLN, les manifestants d’Aïn Témouchent détournent le slogan officiel « Algérie algérienne ! » pour le transformer en « Algérie musulmane ! ». Un slogan qui peut sembler difficile à comprendre aujourd’hui. « Algérienne » désignait l’ensemble des populations vivant en Algérie, tandis que « Musulmane » faisait référence à cette forme de « nationalité » qui nous avait été imposée : Français musulman, mais jamais pleinement Français.

Dans la soirée du 9 décembre, De Gaulle se rend à Tlemcen, où il est accueilli de la même manière. À Alger comme à Constantine, des échauffourées sont signalées. L’information concernant la violente réaction de la police à Aïn Témouchent parvient à Oran. Le lendemain, lorsque les Européens s’en prennent aux commerçants algériens de Madina Jadida pour les contraindre à faire grève, des affrontements éclatent. Les CRS interviennent contre les Algériens, et le 10 décembre, on dénombre une dizaine de morts, tant parmi les Algériens que les Européens.

Les mêmes causes produisent des effets similaires dans d’autres villes, notamment Alger, Constantine et Annaba. Cependant, la répression contre les manifestants atteint une intensité particulière à Alger, où la Casbah devient également le théâtre d’opérations menées par les Gardes mobiles. Cette répression, d’une ampleur considérable, fait au moins une centaine de morts le 11 décembre.

 

Quel rôle ont joué les quartiers de Belcourt et Clos Salembier dans l’organisation et l’intensification du mouvement de protestation ?

 

Une analyse de la géographie urbaine révèle que ces événements se déroulent dans des quartiers majoritairement européens, où la présence algérienne est renforcée par celle des habitants des bidonvilles environnants. Dans un premier temps, ce sont les Européens qui tentent, en vain, d’entraîner les Algériens dans leur grève générale et leurs manifestations contre De Gaulle. Les tensions s’intensifient, notamment parce que la Section Administrative Urbaine (SAU) de Belcourt, équivalent des SAS, incite les Algériens à manifester en faveur de De Gaulle.

Cependant, comme à Aïn Témouchent et Oran, l’intervention rapide des cellules dormantes du FLN et l’arrivée de cadres de la wilaya 4 transforment radicalement la situation. Ces cadres donnent aux manifestations une nouvelle direction et une force inédite. Les slogans deviennent plus explicites : Indépendance, GPRA, Ferhat Abbas, FLN. Des drapeaux vert et blanc frappés du croissant et de l’étoile rouges sont brandis par des femmes et des enfants, souvent confectionnés à la hâte.

Ces manifestations massives, concentrées dans des quartiers populaires, soulèvent la question de leur spontanéité. À Alger, toutefois, cet élan spontané n’a duré qu’un temps, avant que le FLN et la wilaya 4 ne prennent rapidement et efficacement le relais pour structurer et intensifier le mouvement.

 

Quelle a été la réaction des médias internationaux présents en Algérie lors de ces manifestations ?

 

Cela nécessiterait une étude particulière. Cependant, tout comme au niveau des instances internationales, la presse parisienne, ainsi que les médias anglais, américains, espagnols et italiens, ont particulièrement mis l’accent sur la violence de la répression. Qu’elle soit écrite, radiophonique ou filmée, cette presse a révélé une réalité troublante : au contact des Européens, les CRS, gardes mobiles et parachutistes « fraternisent », tandis qu’au contact des Algériens, ils ouvrent le feu. À l’ONU, ces informations, habilement présentées par la délégation du GPRA, ont fait mouche.

Certains pays européens alliés traditionnels de la France, comme le Danemark, la Norvège et la Turquie votent la résolution onusienne demandant l’autodétermination de l’Algérie. La France est alors isolée au niveau international. De plus, ces manifestations qui ont fini par gagner pratiquement toutes les villes ont convaincu une large partie de l’opinion publique en France de la nécessité de négocier avec le GPRA, mais rien n’est encore acquis.

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