Tous les historiens de la Révolution algérienne sont unanimes sur le fait que les manifestations populaires du 11 décembre 1960 constituent un véritable tournant décisif dans la guerre de libération contre l’oppression coloniale française.

Ces manifestations ont touché plusieurs grandes villes du pays, mobilisant des dizaines de milliers d’Algériens et d’algériennes, scandant des slogans favorables à l’indépendance et à la liberté. Il s’agit d’une victoire diplomatique, politique et stratégique pour le Gouvernement provisoire (GPRA) et pour le Front de libération nationale (FLN) contre l’administration coloniale et contre les politiques menées par les ultras et partisans de « l’Algérie française ».

L’un des facteurs qui a amplifié les effets de ces manifestations dans le monde et chez l’opinion publique en France même est sans doute la médiatisation de la question algérienne. Car le déclenchement des événements coïncidait avec la visite du président français, le général Charles De Gaulle en Algérie, accompagné par des dizaines de journalistes et des reporters étrangers. Cette médiatisation a permis une prise de conscience de la réalité algérienne et du refus du peuple algérien de la présence coloniale française et de toutes les solutions proposées par le général De Gaulle.

 

L’échec des ultras

Tout a commencé le 4 novembre 1960, quand De Gaulle renouvela, dans une allocution radiotélévisée, sa proposition d’une « paix des braves », avec la promesse de lancer des réformes sociales et économiques à travers le « Plan de Constantine » et « les mille villages ». Il évoque ensuite « une République Algérienne » dont le projet sera soumis à un référendum le 8 Janvier 1961. Son plan est délicat et devait sonder les colons, la communauté européenne et les chefs de l’armée française en Algérie. C’est la raison de son voyage qu’il a entrepris du 9 au 12 décembre 1960. Cependant, les partisans de l’Algérie française se sont mobilisés pour préserver le statut quo colonial.

Les organisations extrémistes comme le Front de l’Algérie Française (le F. A. F) et quelques unités de l’armée sous la houlette du général Jouhaud établissent un programme d’action à cette occasion. Ils entendent accueillir le Chef de l’Etat français par une grève générale, des manifestations hostiles à sa politique et ils veulent faire participer les Algériens musulmans à ces manifestations. Effectivement, De Gaulle est d’abord mal accueilli à Aïn Témouchent, dans l’ouest algérien, première étape de son voyage. Des manifestants « pieds-noirs » se préparent à l’action à Alger et lancent un mot d’ordre de grève générale. La ville est paralysée, des magasins sont saccagés, des milliers de litres d’huile de vidange déversés sur la chaussée.

Le tout aux cris de « Algérie française ! ». « Cherchant à provoquer l’intervention de l’armée française en leur faveur, les manifestants se rendent dans les quartiers arabes, incitant les Algériens à se joindre à eux en menaçant certains les armes à la main. Le lendemain, 10 décembre 1961, alors que rien n’annonçait l’événement, des milliers Algériens défilent, mais pas du tout dans le sens espéré des partisans de l’Algérie française », écrit l’historien Benjamin Stora.

Depuis, c’est une cascade d’événements, d’accrochages et de heurts, des tueries et des tirs de pieds noirs ou d’Européens à partir des balcons. Le peuple algérien brise le mur de la peur et dévale dans les rues d’Alger et ses quartiers, déployant des drapeaux vert et blanc du F.L.N. avancent aux cris de « Algérie musulmane » et « Abbas au pouvoir » ou « Vive l’Algérie indépendante ! Vive l’Armée de Libération Nationale ! Vive le FLN ».

Certains historiens indiquent que les mots d’ordre qui ont enclenché ces manifestations venaient du F.L.N. qui voulait secouer l’opinion internationale à la veille de la XVè session de l’O.N.U.  Cependant, selon Stora, la spontanéité, la brutalité de l’intervention des masses dans la rue, militent à notre sens pour la prise de décision « innée » de ces masses pour faire valoir son « mot à dire ». Les manifestations dites du « 11 décembre » furent l’expression d’une révolte au sein même de la Révolution, car excédées par les manœuvres politiques, les promesses de paix, (…).

L’appel de Ferhat Abbas

Pour Stora, une bataille décisive est gagnée par le GPRA. A la fin de l’année 1960 en Algérie, les Européens et le haut commandement sont fixés : l’Algérie « de papa » est bien morte, et le FLN a regagné sur la scène politique et diplomatique tout le terrain perdu par les armes.

Le 16 décembre 1960, à 13 heures, le président du GPRA, Ferhat Abbas lance un appel au peuple : « Algériens et Algériennes, qui avez affronté avec abnégation, la fureur des ultras et de l’armée française, nous vous adressons l’expression émue de notre admiration ! (…) Frères et sœurs d’Algérie ! Vous avez écrit, avec le sang de nos martyrs, une page glorieuse de notre Histoire. En acceptant une mort héroïque, vous avez affirmé votre droit à la vie, vous avez gagné le droit à la dignité, vous avez mérité votre liberté. Quelle leçon aux imbéciles agités de la rue Michelet ! Quelle leçon aux apprentis fascistes et aux éternels racistes, qui, sûrs de la police et de l’armée françaises, se livrent impunément depuis six ans aux lynchages et aux tueries des patriotes, de ceux qu’ils devraient respecter parce qu’ils sont dignes de respect.

Enfin quelle terrible leçon aux attardés de la « pacification », à ceux qui nourrissent encore l’illusion de séparer notre peuple de son armée et de son gouvernement. (…) Nous vivons un moment crucial de notre Histoire. Nous traversons de grandes épreuves. La bataille que vous venez d’engager à pris une grande ampleur. Le monde entier l’a enregistré comme une éclatante victoire de notre lutte de libération nationale».

Le coup de grâce diplomatique

L’impact de ces manifestations a été retentissant, considérable. Une semaine plus tard, le 19 décembre 1960, l’Assemblée générale des Nations unies adopte une résolution historique, reconnaissant le droit des Algériens à l’autodétermination et à l’indépendance. La propagande de la puissance coloniale au sein de la communauté internationale venait d’échouer lamentablement. La France qui a nié l’existence d’une nation algérienne se retrouve isolée. C’est la résolution 1575. Elle a été adopté, par 63 voix contre 8 (et 27 abstentions), grâce à l’implication des pays du mouvement des Non-alignés, dont le FLN avait noué des rapports étroits et solidaires depuis le sommet de Bandoeng en Indonésie en 1955.  

Les manifestations ont permis au monde entier de se rendre compte de la gravité de la situation en Algérie. Grâce aux diplomates du GPRA (notamment les défunts M’Hamed Yazid et Abdelkader Chanderli), qui se trouvaient à New York, la cause algérienne fut portée avec célérité à l’ONU. Le peuple algérien a su attirer sur lui le regard des autres peuples et des dirigeants de plusieurs pays de tous les continents. On savait désormais que le peuple algérien veut accéder à son indépendance, à sa souveraineté et à la restauration de son Etat national.

De nombreux pays qui soutenaient la thèse française ont revu leurs positions en faveur de la révolution algérienne. Le lâchage de la France par ces principaux alliés est éclatant. 

Réda Malek rapporte que « De Gaulle avait écrit une lettre à Eisenhower pour épauler la France à l’Assemblée générale de l’ONU, mais la délégation américaine avait reçu instruction de s’abstenir ».

Hartmut Elsenhans, un historien allemand, écrivait que « les manifestations de décembre 1960 constituent la victoire des nationalistes algériens sur le plan politique, et constituent donc un véritable Dien Bien Phu de l’armée française en Algérie ».

Avec ces manifestations populaires, la « question algérienne » a gagné des années de lutte en sa faveur. Résigné, De Gaulle propose aux Français le 8 janvier 1961, sous la pression internationale, un référendum sur le principe de l’autodétermination de l’Algérie. S’ensuivent les premières négociations entre la France et le FLN puis le GPRA. Des négociations qui allaient aboutir sur les accords d’Evian le 19 mars 1962.

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