Une des premières conséquences de la chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, c’est la fin de la présence russe dans la région. Ce qui constitue une grande perte géostratégique pour Vladimir Poutine dans son bras de fer avec les Occidentaux et avec les forces de l’OTAN.

Après plus de soixante ans de régime baasiste en Syrie, le dernier représentant du régime Al-Assad a fui les ruines du pays, trouvant l’exil chez le régime russe allié de Vladimir Poutine. Jusque-là, c’était prévisible, au vu des rebondissements des dernières semaines, avec les rebelles qui avançaient inexorablement vers Damas et la décision de Bachar Al-Assad d’écouter les rebelles, avec la promesse d’une nouvelle Constitution. Sauf que cette décision devait être prise en 2012. Elle arrive en retard, dans un pays détruit, décimé, dévasté par plus de douze longues années de guerre civile, qui a fait plusieurs centaines de milliers de victimes et au moins 16 millions de réfugiés, sans parler des disparus, des portés disparus et des millions de blessés.
D’abord, la fuite de Bachar Al-Assad était programmée depuis plusieurs mois. Évidemment les garanties russes faisaient jusqu’ à cette semaine office de garde-fou en attendant la fin du régime. La chute de Bachar équivaut également à un camouflet pour Vladimir Poutine, qui perd, ici, une bataille face à Washington et aux pays occidentaux et à l’Otan. Le front syrien étant un doublon de celui d’Ukraine, avec des intérêts russes qui fondent comme neige au soleil, puisque, désormais, l’ouverture maritime sur la Méditerranée est en danger puisque ce sont les forces soutenues par les Occidentaux qui ont mainmise sur le pays. Moscou avait pour unique base navale russe en Méditerranée, le site Tartous, qui avait pris une importance stratégique encore plus grande quand Moscou a décidé d’envahir l’Ukraine, en février 2022. Car cette guerre a entraîné la fermeture des détroits turcs aux bâtiments militaires des États belligérants, conformément à la Convention de Montreux (1936). Donc, une des premières conséquences de la chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, c’est la fin de la présence russe dans la région. Ce qui constitue une grande perte géostratégique pour Vladimir Poutine dans son bras de fer avec les Occidentaux et avec les forces de l’OTAN. Il faut ici souligner que la Russie s’était solidement implantée en Syrie depuis dix ans. Mais elle a été obligée de vider les lieux dans l’urgence. Incapable de sauver une nouvelle fois la mise au dictateur syrien, comme elle l’avait fait en 2015, l’armée russe a dû se replier. A commencer par les navires qui étaient stationnés dans le port de Tartous, unique base navale dont Moscou disposait en Méditerranée, qui ont repris le chemin vers d’autres territoires maritimes laissant la place aux navires français et américains. Ce positionnement désormais vacant a très vite été rempli par les forces israéliennes, qui pour la première fois depuis la guerre avec les États arabes ont franchi les frontières syriennes, avec l’aval de Washington.
Depuis le 8 décembre 2024, alors que l’«axe de la résistance» iranien s’est effondré, avec ses alliés affaiblis ou déchus, l’armée israélienne étend son contrôle du plateau du Golan à la zone tampon démilitarisée créée en mai 1974 suite à la résolution 350 du Conseil de sécurité de l’ONU. On le voit bien, la fin du régime Al-Assad crée un nouvel ordre stratégique et militaire dans la région, avec Israël comme pivot entre ce qui reste de la Palestine, du Liban, et aujourd’hui, une Syrie sous contrôle occidental. Cette incursion en Syrie a donné corps à une série d’attaques ciblées de la part de l’armée israélienne. En effet, Tsahal «a détruit les principaux sites militaires en Syrie» en menant environ 250 frappes, comme l’a précisé, le 10 décembre 2024, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Mais Washington et les capitales occidentales ainsi que Tel-Aviv ne sont pas les seuls vainqueurs après la chute du régime Al-Assad. Ankara a tout à gagner aujourd’hui dans une région sous tension, avec le conflit kurde, la situation instable en Irak et les inimitiés avec le voisin iranien. Au-delà de sa victoire géopolitique, notamment face à la Russie, la Turquie espère tirer profit de cette configuration syrienne post-Al-Assad.
«Alors qu’une nouvelle ère s’ouvre à Damas, nous serons aux côtés de nos frères syriens, comme nous l’avons déjà été lorsqu’ils ont vécu des moments difficiles», comme l’a déclaré le ministre des affaires étrangères Hakan Fidan à un groupe d’ambassadeurs depuis la capitale turque, le 9 décembre 2024.
En ajoutant : «Nous poursuivrons nos efforts pour le retour sûr et volontaire des Syriens et pour assurer la reconstruction du pays». Ankara veut d’abord assurer le rapatriement en Syrie du plus grand nombre possible de réfugiés présents sur son sol. Le retour en Syrie des plus de trois millions de Syriens qu’abrite la Turquie est une priorité du gouvernement turc. D’ailleurs, des milliers de Syriens ont été expulsés de manière quasi systématique vers le nord de la Syrie depuis la réélection de Recep Tayyip Erdogan à la présidentielle de 2023. Sans oublier toute la manne financière apportée par la reconstruction de la Syrie. Le président Erdogan, très proche des magnats du secteur du BTP, pèse de tout son poids pour favoriser les entreprises turques. D’ailleurs, les actions de sociétés turques de construction, notamment les cimentiers et les sidérurgistes, ont bondi en Bourse au lendemain de la chute de Bachar Al-Assad. C’est dire tout l’enjeu d’une telle offensive turque pour placer ses pions en Syrie. Dans cette configuration, demeurent quelques zones d’ombre, comme la frontière avec le Liban et les intérêts israéliens dans cette zone très sensible, avec le plateau du Golan, comme nerf de la guerre entre Damas et Tel-Aviv, mais pour le reste la carte politique est désormais de plus en plus claire: Moscou hors jeu, Washington et l’ OTAN placent leurs billes et renforcent leur domination au Proche-Orient. Ce qui aura une incidence grave sur le bras de fer en Ukraine où Vladimir Poutine voudra faire plier les Occidentaux.

Abdelhak Najib, Écrivain-journaliste.