Pour la deuxième fois de suite, le Conseil de Bank Al-Maghrib a donné tort aux prévisions de la majorité des analystes et investisseurs. Alors qu’en juin dernier, le consensus s’accordait sur le statu quo, pour que finalement BAM baisse le taux directeur, cette fois-ci, les spécialistes attendaient une nouvelle baisse, mais le Conseil a décidé de le maintenir inchangé.

Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib, a expliqué lors du point de presse suivant la réunion du Conseil que cette décision s’inscrit dans une logique de prudence face à une conjoncture marquée par de nombreuses incertitudes, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Inflation maîtrisée et perspectives économiques pour 2024 et 2025

La décision de BAM intervient alors que l’inflation connaît une nette décélération. Après avoir atteint 6,1 % en 2023, elle devrait s’établir à 1,3 % en 2024, avant de remonter légèrement à 2,5 % en 2025. « Nous avons constaté un ralentissement de l’inflation, dû en grande partie à la baisse des prix des produits alimentaires volatils et à la stabilisation de l’inflation sous-jacente. Cette dynamique reflète une situation plus stable sur le front des prix à court terme », a précisé Abdellatif Jouahri.

Le Conseil de BAM a également noté le retour des anticipations d’inflation à des niveaux modérés, avec des prévisions de 2,2 % pour l’horizon de 8 trimestres, et 2,3 % sur 12 trimestres. Ce retour à des niveaux plus bas s’explique par une meilleure gestion des subventions et des prix des produits de base.

Sur le plan économique, BAM anticipe un ralentissement de la croissance nationale à 2,8 % en 2024, après une hausse de 3,4 % en 2023. Cette baisse est largement due à une contraction de 6,9 % de la valeur ajoutée agricole, conséquence des conditions climatiques défavorables. Cependant, une reprise est attendue en 2025, avec une croissance de 4,4 %, tirée par une progression de 8,6 % dans le secteur agricole, sous l’hypothèse d’une récolte céréalière moyenne de 55 millions de quintaux.

« La volatilité du secteur agricole, particulièrement affecté par les aléas climatiques, constitue un défi pour la croissance économique. Toutefois, les perspectives sont meilleures à moyen terme, soutenues par une reprise des activités non agricoles et une dynamique d’investissement public et privé », a affirmé le Wali de BAM.

Une reprise des échanges extérieurs et des réserves solides

Sur le front des échanges extérieurs, les exportations devraient connaître une reprise de 4,8 % en 2024, suivie d’une accélération de 9,2 % en 2025. Ces performances seront principalement portées par les secteurs de l’automobile et des phosphates. Les ventes du secteur automobile devraient ainsi atteindre 187,4 milliards de dirhams en 2025, tandis que celles des phosphates et dérivés dépasseront les 90 milliards de dirhams.

De même, les importations devraient croître de 5 % en 2024 et de 9 % en 2025, avec une augmentation des achats de biens d’équipement et une facture énergétique qui s’alourdirait à 123,9 milliards de dirhams en 2025. Les recettes touristiques devraient continuer de croître, avec des hausses de 7,1 % en 2024 et de 4,6 % en 2025, atteignant 117,3 milliards de dirhams.

Quant aux transferts des Marocains résidents à l’étranger (MRE), ils continueraient de croître à un rythme annuel d’environ 3 %, atteignant 121,8 milliards de dirhams en 2025. Ces bonnes performances permettront de maintenir le déficit du compte courant à des niveaux modérés, soit 1,4 % du PIB en 2024 et 2,6 % en 2025.

Concernant les réserves de change, Abdellatif Jouahri a souligné que « les avoirs officiels de réserve de BAM devraient continuer de se renforcer, pour atteindre 384,3 milliards de dirhams à fin 2024, soit l’équivalent de 5 mois et demi d’importations de biens et services. Cette solidité des réserves est essentielle pour garantir la stabilité monétaire du pays. »

Prudence face à une conjoncture incertaine : la position de Bank Al-Maghrib

Lors du point de presse, Abdellatif Jouahri a mis en garde contre les risques d’une modification précipitée de la politique monétaire, affirmant que les futures décisions de Bank Al-Maghrib seront prises en fonction de l’évolution de la conjoncture économique. « Il ne faut jamais agir dans la précipitation, sous peine de devoir rectifier brusquement le cap par la suite », a averti le Wali de BAM.

Il a souligné que BAM suivra de près les évolutions économiques et sociales, y compris les impacts des tensions géopolitiques internationales, comme la guerre en Ukraine et l’escalade des conflits au Moyen-Orient, qui contribuent à la fragmentation économique et à une incertitude accrue sur les prix des matières premières, notamment énergétiques.

Sur le plan national, la récurrence des sécheresses et le stress hydrique continuent de poser des risques importants pour la production agricole et, par conséquent, pour la croissance économique. « La production agricole reste étroitement liée aux conditions climatiques, et cela influence directement la croissance globale du pays », a noté Jouahri.

Créances en souffrance et liquidité bancaire : des défis persistants

Abdellatif Jouahri a également évoqué la question des créances en souffrance, une problématique clé pour le secteur bancaire. Il a annoncé que la question de la transférabilité automatique de ces créances est désormais résolue, grâce à un projet finalisé qui sera bientôt soumis au Chef du gouvernement. Ce projet, fruit de trois ans de travail, vise à améliorer la gestion des créances problématiques dans le système bancaire marocain.

En ce qui concerne la liquidité bancaire, BAM a noté que le besoin de liquidité devrait continuer de se creuser, passant de 111,4 milliards de dirhams en 2023 à 146,6 milliards en 2025, principalement en raison de l’expansion de la monnaie fiduciaire. « Bank Al-Maghrib répondra aux besoins de liquidité des banques pour soutenir le financement des investissements et du secteur privé. Nous accordons actuellement 151 milliards de dirhams, et les banques peuvent obtenir jusqu’à 400 milliards selon les garanties qu’elles offrent », a expliqué Jouahri.

Un contexte de réformes et d’investissements pour soutenir la croissance

La croissance économique du Maroc sera également soutenue par les réformes prévues dans le cadre de la Loi de Finances 2025 et les négociations en cours dans le cadre du dialogue social, qui pourraient influencer les perspectives de demande et de prix. BAM reste confiante dans la capacité de l’économie marocaine à rebondir, notamment grâce à la reprise de l’investissement public et privé.

En conclusion, Abdellatif Jouahri a réitéré que BAM continuera de suivre de près l’évolution de la conjoncture et prendra les décisions nécessaires pour maintenir la stabilité macroéconomique du pays, tout en veillant à soutenir la croissance et à contenir l’inflation. « Notre priorité reste d’assurer une politique monétaire prudente, adaptée aux réalités économiques actuelles, pour préserver la stabilité de notre économie », a conclu le Wali.

Selim Benabdelkhalek

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